VOUS QUI CROYEZ ENCORE AUX ANIMateurs radios qui débarquent en studio, des disques sous le bras, vous allez déchanter. «Les CD dans les radios, c’est fini depuis longtemps ! s’exclame Gilles Misslin, expert radio indépendant. A part dans quelques stations associatives, qui mettent vraiment des CD, la musique à la radio s’est entièrement dématérialisée.»
Les morceaux, tous numérisés, sont classés dans la discothèque virtuelle de la station. La programmation musicale, elle, s’est entièrement automatisée depuis l’arrivée en France, au début des années 90, des logiciels de radio-automation. Au départ, ils étaient utilisés pour piloter à l’avance les playlists de nuit. Mais aujourd’hui, grâce à l’augmentation des capacités de stockage, ils permettent de caler et planifier les titres à diffuser, les jingles, les écrans publicitaires et l’animation en voice track quand elle est utilisée… le tout par ordinateur. «Ce ne sont rien d’autre que de supers logiciels jukebox, regrette Misslin. On y entre les règles voulues par la ligne éditoriale et musicale de la station : tel pourcentage de rock, tel pourcentage de reggae, tel pourcentage de nouveautés, tel pourcentage de titres "gold", et tel pourcentage de musique française, pour les quotas.»
«Intensité». Introduit à la fin des années 80 par un animateur de Vibrations, Philippe Generali, le plus connu de ces logiciels s’appelle Selector. L’animateur en question est d’ailleurs devenu le président de la société qui l’édite, RCS. Selector est utilisé par près de 8 000 stations dans le monde, et par «l’essentiel des grosses radios françaises», affirme Bruno Witek, ex-animateur et ex-directeur d’antenne de plusieurs stations musicales, qui fait aujourd’hui du conseil en programmation, notamment pour Ouï FM et Radio FG.
Les radios plus petites choisissent, elles, un logiciel concurrent, WinRadio. «On peut tout faire avec ces logiciels : mettre en place la playlist, définir les rotations… s’enthousiasme Witek. On peut même coder les morceaux en fonction de l’intensité musicale : on dit au logiciel que si la fin d’un morceau est lente, alors il faut que le début du suivant soit rapide. On donne des priorités, des stratégies, des impératifs de quotas, et le logiciel les applique. On peut entrer près de quarante règles!» Ils ont la possibilité de fonctionner en tout automatique, mais l’intervention manuelle et ponctuelle est également possible: «L’animateur peut évidemment faire des changements en temps réel, assure Bruno Witek. Il ne faut surtout pas que ça devienne une radio surgelée.»
«Internautes». C’est pourtant l’impression que ça donne : une radio en conserve, préparée à l’avance. Une radio-iPod, en somme. «Il ne faut pas croire, la programmation avec ces logiciels reste quelque chose de très vivant, défend-il. On fait des modifications sur la playlist tous les jours : timing, météo, actu, quotas, catégories, hits ou nouveautés demandées par les auditeurs…»
En tout cas, on est bien loin de la programmation à l’ancienne telle qu’on peut l’imaginer. «Avant, c’était le programmateur qui décidait pour l’auditeur, et la plupart du temps, les disques étaient choisis pour faire plaisir aux copains ou aux maisons de disques, avance Witek, qui a vécu l’avant et l’après logiciel de programmation. Aujourd’hui, grâce à ces logiciels, on a vraiment une radio participative. On est très à l’écoute des réactions des internautes sur un titre.»
Des internautes ou des panels d’auditeurs sondés par des instituts, qui définiront la notoriété d’un titre, sa rotation, et sa durée de vie à l’antenne. Witek considère l’arrivée de ces logiciels comme un grand progrès pour la créativité de la programmation radio : possibilité de créer des playlists par genre, par année, par thème… «Sur les grosses radios, ça devient vraiment un outil au service de la création. Mais c’est vrai aussi que certaines petites radios l’utilisent pour faire des économies, et beaucoup de programmateurs laissent tourner le logiciel : là, ce sont vraiment des radios-robots, reconnaît-il. Le logiciel est un plus, mais c’est comme tout, il faut savoir jouer avec, être créatif. Surtout en cette période de concurrence avec les webradios : la machine ne doit pas l’emporter sur l’humain.»
(Lire l'article de Isabelle Hanne via Libération.fr)
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